31/07/2013

Petite pause spirituelle

Qu'est-ce que le karma ? Ci-dessous, une interprétation possible, mais en toute honnêteté je ne sais pas si c'est vraiment la bonne...


30/07/2013

Introduction aux études sur le genre - Chapitre 2 - Genre, sexualité et vie conjugale

Après un chapitre 1 assez dense et riche en thématiques différentes, nous attaquons le chapitre 2, intitulé Genre, sexualité et vie conjugale.

Celui-ci aborde la question de la distinction entre genre et sexualité, et comment celle-ci a émergé ; il montre tout d'abord qu'il s'agit d'un produit de l'histoire : chez les anciens grecs et chez les romains, en effet, les rôles actifs et passifs dépendent ainsi de la hiérarchie sociale plutôt que de l'expression d'une "sexualité" propre à chacun.

Le livre embraye sur l'émergence moderne de la "sexualité" (entre guillemets dans le texte), qui est due en grande partie, il faut le dire, à la psychanalyse et à l'importance que celle-ci lui a donnée dans ses théories sur le psychisme. D'après l'ouvrage, la conception moderne de la sexualité serait fondée sur la notion de "choix d'objet (inconscient)", assez critiquable en termes de termes de terminologie, comme je l'ai déjà laissé sous-entendre précédemment, lors de mes précédentes critiques. A vrai dire, je pense que c'est typiquement français de penser les choses ainsi, peut-être à cause de l'influence de la psychanalyse encore une fois ; dans le reste du monde occidental, on parle évidemment de sexualité et on lui donne le même sens, mais je ne pense pas que la notion de "choix d'objet" soit utilisée ou même connue.

Mais cette partie souligne quand même qu'il s'agit d'une révolution conceptuelle et que les actes sont maintenant clairement dissociés des attirances et préférences déclarées. De plus, la sexualité, dans son acception courante, est censée ne regrouper que des pratiques volontaires et consenties.

D'après les études de genre, le revers de la médaille de la sexualité est qu'elle aurait renforcé l'idée selon laquelle chacun possède un sexe déterminé et immuable, puisque le concept-même d'orientation sexuelle repose dessus.

La prochaine partie s'attache à montrer en quoi la sexualité contemporaine est toujours empreinte de genre, malgré la contraception et la libération sexuelle des années 1960-1970. Le chapitre procède à un petit rappel historique depuis cette époque ; la partie est très riche en tableaux, notamment sur différentes pratiques sexuelles pour étayer l'argumentation, concernant les évolutions du couple hétérosexuel. Je ne m'étendrai pas trop sur cette partie-là, ni sur la suivante.

La prochaine partie envisage l'hétérosexualité comme rapport de pouvoir et de domination. A ce sujet, elle commence par citer des féministes "radicales", telles que Catherine MacKinnon ou Andrea Dworkin, ce qui est très critiquable étant donné l'aspect assez caricatural de leurs théories : elles sont en effet difficiles à prendre au sérieux ; Andrea Dworkin, en particulier, mérite pleinement l'accusation de misandre, et ce n'est pas une exagération. Elle évoque également l'idée de la sociologue italienne Paola Tabet d'un continuum des échanges économico-sexuels" qui s'étendrait de la prostitution à la vie en couple. S'en suit la notion un peu problématique, due à Adrienne Rich, d' "hétérosexualité obligatoire", qui peut garder une certaine pertinence selon le sens qu'on lui donne. Mais cette partie souligne quand même que les femmes se retrouvent plus souvent que les hommes à satisfaire les désirs de leur conjoint sans en avoir vraiment envie, ce qui est tout de même très préoccupant. De même, la question du clitoris et de l'orgasme féminin sont en fait des sujets hautement politisés, ce qui pouvait être difficile à soupçonner de prime abord.

La prochaine partie aborde la question des violences de genre et violences sexuelles, notamment le harcèlement et le viol ; c'est une partie terrible, au bilan accablant. Un encart présente ainsi des exemples d'attitudes prises par les femmes pour se protéger lorsqu'elles sortent le soir dans la rue à heure tardive.

La dernière partie évoque la question du genre dans les sexualités non-mixtes, notamment du rapprochement entre sexisme et homophobie et l'émergence des mouvements LGBT, avec les discussions, les différences d'argumentation et de perspectives des "pionniers" : entre par exemple la vision de Hirschfeld, plutôt moderne (sauf lorsqu'il envisage les homosexuels comme un troisième sexe...) et celle d'Adolf Brand, plutôt machiste et nostalgique. Ce sont des causes plutôt sociales qui sont données aux stéréotypes (semi-vérifiés) associés à l'homosexualité masculine : partenaires nombreux, promiscuité...

Les relations lesbiennes, elles, sont associées au modèle des couples butch/fem, en détaillant les raisons à cela (notamment le regard des hommes), et en présentant la notion de double-bind lors d'un encart. Les lesbiennes doivent affronter l'inverse des stéréotypes gays concernant leur sexualité de couple. La dernière sous-partie montre que les dynamiques internes restent marquées par le genre, notamment par les clivages et stéréotypes actif/passif.

Pour résumer, ce chapitre quelque peu scabreux est aussi un peu plus technique, moins conceptuel que le précédent, et ça se sent. C'est pourquoi je l'ai moins commenté, ici.




Neurotypical - trailer

La bande-annonce d'un documentaire sur l'autisme, diffusé hier sur PBS (aux Etats-Unis), du point de vue des autistes eux-mêmes :

http://video.pbs.org/video/2364989611

Le film en entier (il dure une heure) est également disponible à l'adresse suivante, jusqu'au 28 août :

http://www.pbs.org/pov/neurotypical/

Attention, il est en anglais non sous-titré.

edit : hélas, il ne semble visible pour l'instant que depuis les Etats-Unis. Les autres vont devoir patienter, je le sens...

28/07/2013

Culturomics - Jean-Paul Delahaye, Nicolas Gauvrit




Culturomics : Le Numérique et la Culture est un livre de Jean-Paul Delahaye et Nicolas Gauvrit (qui est un "allié" sceptique, très actif au sein du mouvement, que j'ai eu l'occasion de voir lors d'un hangout Google, et qui est derrière le blog Psymath), sorti aux éditions Odile Jacob en 2013.
Il aborde principalement la question de l'impact du numérique sur la culture et la perception de celle-ci, et comment cela, grâce à l'émergence de nouveaux outils, donne naissance à un nouveau champ d'études appelé culturomics en anglais, et c'est ce que ce livre se charge d'exposer. Il est très complet au niveau des graphiques et des statistiques utilisées, pour appuyer son argumentation sur de nombreux sujets : psychologie, éducation, linguistique, par exemple.

Je n'aborderai ici que le premier chapitre, intitulé La psychologie dans la littérature, puisque c'est celui qui est le plus en rapport avec la thématique de ce blog, quoique celui sur l'éducation ne soit pas loin derrière.

Comme le titre de ce chapitre le suggère, il traite à la fois de la fréquence de termes associés à la psychologie dans les textes, mais aussi des motifs psychologiques derrière la fréquence de certains termes.

Ainsi, la préférence pour le chiffre 7, par exemple, dans le monde occidental, a des causes sociales : l'importance que ce chiffre a dans la culture occidentale, que ce soit dans le christianisme ou le monde grec par exemple. Alors que des individus issus d'autres cultures donneront d'autres chiffres prototypiques, comme le 3 chez les Turcs ou le 9 chez les Nigérians.

On y apprend aussi que la psychologie dépend en partie de la géographie et de la culture, en particulier, qu'il existe des troubles psychiques propres à certaines cultures, on parle d'ailleurs de culture-bound syndrome à ce sujet. Deux d'entre eux sont cités dans ce chapitre : le premier, l'amok, désigne en Asie du Sud-Est un type de folie furieuse où le sujet atteint en vient soudainement à tuer le plus de personnes possibles (to run amok est d'ailleurs une expression passée dans le langage courant en anglais), et le koro, c'est-à-dire la peur irrationnelle d'avoir le pénis qui rétrécit, en Chine du Sud.

De même, la crise d'adolescence en Occident est due à des facteurs sociaux et non biologiques ; elle est quasiment inconnue dans de nombreuses régions d'Afrique.

La partie suivante montre que la part des mots les plus courants de notre langue reste étonnamment stable dans le temps, malgré toutes les évolutions techniques que nous avons connu depuis un siècle (et elles sont nombreuses).

Ensuite, le "biais de positivité" est évoqué : les termes à connotation positive sont en moyenne plus courants que ceux dotés d'une connotation négative. De même, la façon dont se construisent les prototypes dans certaines catégories, le rouge pour les couleurs, le A pour les voyelles, le canari pour les oiseaux (qui a donné son nom à l' "effet canari", pour rendre compte du fait que le canari n'est ni l'oiseau ayant le plus fort poids symbolique, ni le plus courant dans la vraie vie).


La partie d'après est également très éclairante et intéressante, puisqu'elle a pour thème le freudisme. On y apprend, sans grande surprise, que Freud est beaucoup plus connu que Skinner (fondateur du comportementalisme) et passe pour un des archétypes du grand savant au côtés d'Einstein et de Darwin, malgré ses manipulations et son manque de rigueur en général. La psychanalyse a en effet durablement marqué la société occidentale ; bien que Freud lui-même fût relativement conservateur ou, au mieux, modéré (en tout cas pas un révolutionnaire, d'un point de vue moderne), en plaçant la sexualité au centre de la vie psychique, la psychanalyse se plaçait à contre-courant du puritanisme judéo-chrétien qui n'osait pas aborder ces questions. Les auteurs se penchent donc sur l'hypothèse selon laquelle les idées psychanalytiques freudiennes auraient facilité la libération sexuelle : de ce point de vue-là, la causalité est beaucoup moins claire qu'on ne pourrait le penser. Il faut en effet voir qu'il y a deux phases du freudisme, pour résumer : la période des années 20 à 40 où Freud commence à gagner des disciples et à répandre ses idées, et la période à partir des années 50-60 où les idées psychanalytiques connaissent un regain d'intérêt, sous l'impulsion d'une nouvelle génération de psychanalystes et d'intellectuels qui reprennent leurs idées.
Si l'on regarde les graphiques, il y a bel et bien une corrélation entre la diffusion des concepts psychanalytiques et la libération sexuelle. Mais serait-ce dû au fait que la psychanalyse freudienne portait réellement en germe la libération sexuelle, ou que les auteurs de la libération sexuelle réutilisaient des concepts issus de la psychanalyse dans leurs écrits, en leur donnant une interprétation particulière ? Le livre penche plutôt vers la seconde hypothèse, à savoir que la libération des mœurs a été facilitée par une certaine relecture du freudisme (notamment de la part de Wilhelm Reich), qui n'avait au départ pas grand chose à voir avec les idées de Freud lui-même.

Le reste du livre est tout aussi intéressant, avec des chapitres sur la mesure de la notoriété sur Internet ou les statistiques linguistiques en général. En résumé, je vous conseille l'ouvrage car il est vraiment très bien fait, très lisible, émaillé de nombreux graphiques employés à bon escient pour appuyer l'argumentation, cela ne peut donc être que recommandé.



24/07/2013

La différence entre la gauche et la droite



Comme vous l'aurez compris, il s'agira de faire place, ici, à un article ouvertement politique. J'en réutiliserai peut-être l'argumentation dans de prochains articles, davantage en rapport avec les thématiques de ce blog.

Comme vous le savez peut-être, la gauche et la droite, en tant que termes politiques, sont des concepts relatifs qui existent depuis la Révolution française et la répartition des députés dans l'hémicycle par rapport à la question du veto royal. Cependant, ils sont préfigurés par d'autres clivages similaires dans d'autres pays et à d'autres époques : par exemple, l'opposition entre Whigs (libéraux) et Tories (conservateurs) dans la Grande-Bretagne du XVIIIème siècle, ou encore, bien plus ancien, le clivage qui opposait, au sein de la République romaine, les Populares (populistes agraires, en faveur de la redistribution des terres, du bien-être de la plèbe et de l'extension de la citoyenneté) aux Optimates (aristocrates conservateurs qui défendaient les pouvoirs du Sénat). Il faut savoir toutefois qu'il ne s'agissait pas de partis politiques organisés au sens moderne, et qu'il n'y avait pas de réelle idéologie développée au-delà de ce que le public voyait comme des points de rapprochements ou la source de leur pouvoir (peuple ou aristocratie). Cependant, cela était aussi le cas pendant longtemps au XIXème siècle dans de nombreux pays avant que n'émergent les partis politiques modernes.

Les évolutions historiques du clivage droite/gauche (monarchie contre république, Eglise contre Etat, patrons contre ouvriers) font apparaître la gauche et la droite comme des concepts relatifs, comparables au Yin et au Yang de la philosophie chinoise : deux principes qui regroupent un grand nombre d'idées et de contrastes disparates et apparemment sans rapport, mais derrière lesquels on voit des éléments communs.

Mais revenons à ce qui nous préoccupe, à savoir, quelle est donc la différence entre la gauche et la droite ? Beaucoup d'auteurs ont tenté de la dégager, avec plus ou moins de succès. Je vais m'en tenir, pour des raisons de commodité, à la vision de Norberto Bobbio, pour qui la gauche, par rapport à la droite, est caractérisée par un plus grand attachement à la notion d'égalité.

Mais dans ce cas, qu'est-ce qui explique cette différence ? Il existe une explication simple, à mon sens.

En effet, toute société jusqu'à nos jours est traversée par des inégalités de pouvoir, et on peut voir la différence entre la gauche et la droite comme quelque chose qui émerge, en termes de différences d'attitudes, par rapport à ces inégalités au sein de la société. En gros, la droite va défendre l'idée que les inégalités de pouvoir, en général, sont justifiées, tandis que la gauche va défendre l'idée qu'elles ne le sont pas, qu'elles sont propres à un état des lieux donné.

Par ailleurs, l'existence du mal - ou de ce qui fait que l'homme semble parfois être vicieux, égoïste, agressif, lâche, paresseux, replié sur ses proches ou rempli de préjugés - ne peut être expliquée que si au moins l'un des deux entre la société et l'individu a une tendance à être mauvais, ou du moins à favoriser ou à privilégier ce tempérament. La droite va plutôt dire que c'est l'individu qui tend à être mauvais, la gauche que c'est la société.

Ces différences d'attitudes sont elles-même issues de différences en termes de visions du monde. Pour simplifier outrageusement, la droite voit le monde et pense qu'il est ce qu'il doit être et qu'il doit être ce qu'il est, tandis que la gauche voit le monde et pense qu'il n'est pas ce qu'il doit être et qu'il ne doit pas être ce qu'il est.

Ce n'est pas totalement faux : il existe des différences de statut social, mais aussi de traits psychologiques entre les individus de droite et de gauche. Ainsi, en règle générale, les gens de droite sont plus conventionnels et traditionnels, voire autoritaires, avec une plus forte tendance à ressentir de la peur, de la méfiance, de l'agressivité ou du dégoût, mais sont aussi consciencieux et dotés d'une meilleure confiance en eux ; à l'inverse, les gens de gauche sont plus ouverts d'esprit, plus intellectuels, avec une plus grande complexité de pensée, mais aussi rêveurs, ont davantage tendance à se plaindre et ont une vision plus pessimiste du monde tel qu'il est.

Ceci nous permet de réaliser davantage la différence entre la gauche et la droite en termes de vision du monde.

D'un côté, l'individu de droite tend à se fier à la perception directe qu'il/elle a du monde et en particulier, si l'homme est mauvais, c'est qu'il est intrinsèquement mauvais. La droite combine une vision hiérarchique du monde avec une conception "pessimiste" de l'homme. Elle considère les hiérarchies existantes comme des points de repère. Sa vision hiérarchique du monde consiste à penser plutôt que tous les individus et/ou toutes les attitudes ne se valent pas, et qu'il faut favoriser les "bonnes" attitudes et s'appuyer sur les individus qui valent le mieux et les laisser diriger la société dans l'intérêt de tous - en effet, si l'on donne la même chose à deux individus qui valent différemment, on commet une injustice. De plus, la nature humaine est stable et ses différences entre individus sont naturelles, ce qui permet également de justifier les hiérarchies existantes. Ainsi, pour toutes ces raisons, selon la droite, l'ordre établi tend à refléter la vérité des choses. C'est pourquoi l'ordre public, le bon fonctionnement de l'économie et de la société, le respect des traditions et/ou des valeurs dominantes, sont ce qui a le plus de valeur pour l'homme ou la femme de droite. C'est à l'individu, d'autant plus s'il occupe une position inférieure, de s'adapter à la société et non l'inverse.

La gauche est exactement le miroir de la droite. L'individu de gauche essaie - généreusement, mais parfois dangereusement - d'aller au-delà de sa perception directe du monde ; en particulier, si l'homme est mauvais, il/elle va s'intéresser au contexte et penser que la société, directement ou non, ne lui a pas donné ce qu'il méritait. La gauche tire de cela une vision égalitaire du monde et une conception "optimiste" de l'homme. La gauche a plutôt tendance à penser que tous les individus, par delà leurs différences, valent la même chose (et peut aussi parfois donner l'impression de penser que toutes les attitudes se valent) ; il faut donc redistribuer les richesses et les pouvoirs en conséquence - en effet, si l'on ne donne pas la même chose à deux individus de même mérite, on commet une injustice. La nature humaine n'est pas stable, mais en grande partie façonnée par la société, au fond elle est plutôt homogène et les hiérarchies ne sont donc pas toujours justifiées. Au contraire, celles-ci peuvent volontiers être remises en question, l'ordre établi devenant en grande partie arbitraire et contingent. La recherche de l'égalité, de la justice sociale et de la lutte pour la raison (par opposition aux peurs irrationnelles), contre l'oppression et les préjugés, est ce qui motive l'homme ou la femme de gauche. Dans la mesure du possible, ce devrait être à la société de s'adapter aux individus, en particulier ceux dont la position est la plus basse, plutôt que l'inverse.

On le voit, la gauche et la droite diffèrent (partiellement, cela change selon les époques) d'une part concernant les problèmes qu'elles reconnaissent, et d'autre part concernant la façon de combattre ces problèmes.

En fait, la gauche et la droite (et même l'ensemble de l'échiquier politique, du centre aux extrêmes) sont beaucoup plus similaires qu'on ne pourrait le penser, concernant ce qu'elles considèrent comme des problèmes, sinon elles ne pourraient pas en débattre ; il faut qu'il y ait des points de consensus. La droite ne peut décemment pas se satisfaire de la misère, d'inégalités trop importantes, de la haine, de la peur ou d'états d'esprit rétrogrades, s'ils menacent l'ordre ou la cohésion de la société, de même que la gauche ne peut raisonnablement pas se contenter du chaos, du gaspillage, de la médiocrité, de la fin de la production ou du meurtre du passé, s'ils sont un obstacle à l'égalité, à la justice ou au progrès. On remarque un paradoxe : la gauche et la droite adhèrent à des valeurs opposées et partiellement incompatibles, mais en même temps, pour chaque camp, défendre ses propres valeurs signifie aussi, indirectement, défendre celles de l'autre, mais à un degré moindre.

La différence principale se situe donc dans la façon de combattre les problèmes sociaux.

La droite, qui pense que c'est à l'individu de s'adapter à la société, en prenant appui sur sa vision "pessimiste" de l'homme, va faire appel à la responsabilité individuelle. Elle va chercher à canaliser la nature humaine dans un sens "positif" (via les incitations, un système de valeurs clair, etc) et se servir de la nature humaine comme argument pour justifier le fait qu'il est inutile de vouloir changer la société. Lorsqu'il y a des problèmes au sein de la société, la droite ne tend à y voir que des fautes individuelles, le but de la société, du collectif, de l'Etat, n'étant que d'inciter l'individu à se reconnaître dans leurs objectifs traditionnels et de les protéger contre ses erreurs. Si on veut que les individus fassent le bien ou se comportent correctement, il faut qu'ils soient incités à le faire : c'est le fameux mécanisme de la carotte et du bâton, incarnés ici par le marché et la sanction pénale à l'époque moderne. Ce mécanisme permettrait de développer un bon niveau de vie chez les couches inférieures, sans perte pour les autres. Autrement, on laisse se propager le vice et la médiocrité au détriment de la compétence et des bonnes attitudes. 

Au contraire, la gauche, qui pense que la société devrait être adaptée aux individus, en prenant appui sur sa vision "optimiste" de l'homme, va plutôt agir au niveau collectif, modifier les structures mêmes de la société ; minimisant l'impact d'une nature humaine fixe, elle s'intéresse à ceux qu'elle considère comme les victimes injustes du système, pour les aider en amont. Lorsqu'il y a des problèmes au sein de la société, elle y voit la marque d'un système mal organisé, à refaçonner. Pour toutes ces raisons, elle se méfie de la culpabilisation et du tout répressif. Elle accorde moins d'importance aux écarts vis-à-vis des normes. Elle pense qu'il est possible d'agir sur des causes collectives, sociales, pour amoindrir (voire éradiquer) les problèmes auxquels la société est confrontée.

Voilà pour les principales différences, dans leurs grandes lignes.

On peut ainsi facilement expliquer pourquoi le clivage droite/gauche est resté assez cohérent à travers les époques et les différents pays : c'est parce qu'il oppose d'un côté ceux qui veulent conserver leur pouvoir, de l'autre ceux qui veulent redistribuer le pouvoir. C'est aussi pourquoi les coalitions de droite et de gauche ont généralement la même forme, quelque soit le pays : à droite, une alliance entre les milieux aisés et les couches conservatrices de la population, à gauche, une coalition de groupes opprimés menés par une avant-garde intellectuelle.

Attention toutefois, la division gauche/droite autour de ces dimensions n'est pas toujours parfaite : il existe évidemment des variations très importantes au niveau individuel, mais parfois, pour des raisons historiques et/ou sociologiques, il arrive qu'un parti classé à gauche puisse soutenir sur certains sujets des idées de droite, ou inversement. A long terme, cela peut créer une "dissonance", qui ne sera résolue que lorsque cet enjeu passera au premier plan, avec à la clé un réalignement des positions politiques à la sortie. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, les démocrates ont perdu l'électorat blanc du Sud à la suite du mouvement pour les droits civiques, parce que que les démocrates du Nord, qui s'appuyaient déjà sur les Noirs depuis quelques décennies, avaient un positionnement de centre-gauche qui favorisaient leur sympathie à l'égard du mouvement, et ils l'ont d'ailleurs accompagné sur le plan législatif fédéral (vote du Civil Rights Act en 1964, et du Voting Rights Act en 1965). Alors que dans le même temps, de nombreux républicains (pourtant parti héritier de Lincoln, celui qui a aboli l'esclavage) se sentaient rebutés par certaines des revendications du mouvement, qu'ils jugeaient peu cohérentes avec le reste de leur programme - c'est en particulier le cas de Barry Goldwater, candidat ultra-libéral (au sens français du terme) pour la présidentielle de 1964 face à Lyndon B. Johnson, qui n'a quasiment récupéré que les Etats du Sud profond, alors que cette situation aurait été impensable quelques années avant.


En passant, cette vision générale de la différence gauche/droite permet aussi de couper court à la conception simpliste qui voudrait que la gauche soit "le collectif" tandis que la droite serait "l'individu". Outre les très nombreux contre-exemples qu'on peut trouver, notamment des courants de droite avec une forte conscience du collectif, on voit que pour la droite en général, la société est bonne en soi et que c'est pour cela qu'elle mérite d'être préservée (il y a bien certains ultra-libéraux qui pensent que la société n'existe pas, mais le plus souvent cela rejoint une vision de droite - la société n'existe pas, donc elle ne peut pas être modifiée - et très rarement une vision de gauche - la société n'existe pas, donc elle ne peut pas être préservée) ; à l'inverse, pour la gauche c'est l'individu qui est bon en soi, et c'est pourquoi celui-ci devrait être le moins possible "enchaîné" par la société telle qu'elle est, ses normes ou ses attentes.
Au final, c'est plutôt l'attitude par rapport au collectif qui distingue la gauche et la droite. La droite voit le collectif comme une structure génératrice d'ordre, à respecter, ou qui devrait être construite par les individus eux-mêmes plutôt que modifiée par le politique ; tandis que la gauche voit le collectif comme un potentiel à remodeler pour créer une société plus juste et égalitaire.


09/07/2013

Ce blog a un an



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Introduction aux études sur le genre - Chapitre 1 - Sexe et Genre

Après l'introduction, nous embrayons enfin sur le premier chapitre, intitulé Sexe et Genre.

Celui-ci aborde, tout d'abord - cela peut sembler évident - , la question de la construction du concept de genre, c'est-à-dire du genre comme sexe social, puis du genre comme rapport social et diviseur.

Le genre comme sexe social consiste, grossièrement, à voir le genre comme le sexe perçu et attribué comme tel par la société.

Le genre comme rapport social et diviseur voit le genre comme étant, plus ou moins, un synonyme de patriarcat. A ce sujet, je comprends le concept de patriarcat qui est exposé dans ce chapitre (il est entendu ici comme domination du père sur les membres de la famille, ce qui est un peu spécial, et différent de ce à quoi je pensais, c'est-à-dire simplement la domination statistique des hommes sur les femmes pour les positions de pouvoir), et je ne le vois évidemment pas comme une chose positive, mais est-il vraiment possible de l'abolir en tous lieux sans une forme d'immixtion totalitaire ?
La question n'est pas anodine, car elle a déjà des antécédents avec la vision du capitalisme selon Marx (et l'on sait les parallèles qui ont été faits entre le féminisme matérialiste et la théorie marxiste), ou encore les imprécations de George Orwell, dans des livres tels que Animal Farm ou 1984 (l'importance donnée au rôle du langage dans les théories féministes a donné lieu à des accusations de novlangue, d'ailleurs). On a d'ailleurs parlé au sujet du système soviétique, de capitalisme d'Etat ; cela montre que certaines théories féministes correspondent un peu à la caricature qu'on s'en fait parfois, notamment l'accusation de misandrie...

La deuxième partie évoque la question du sexe d'un point de vue biologique, et montre que les choses sont loin d'être claires, notamment à cause de l'existence d'intersexes.

Sans trop en révéler, le passage sur les intersexes est très parlant. La situation des intersexes est effectivement terrible, dans de nombreux cas (et ce, pour les mêmes raisons que l'affaire Reimer me choque). Je ne savais pas qu'en la matière, les décisions chirurgicales fonctionnaient autant au cas par cas, suivant des critères aussi arbitraires. Dans un monde bien organisé, les intersexes ne devraient pas connaître d'opérations de "réassignation". Mais la société dans son ensemble ne leur a prévu de place et n'est pas capable de les penser. L'idéal serait que les parents élèvent leurs enfants intersexes comme ils l'entendent, quitte à ce que plus tard, ceux-ci puissent changer de genre à l'âge adulte et que ce choix soit respecté, mais en limitant au maximum la nécessité d'opérations.

Concernant les critiques plus générales concernant la notion de sexe biologique, je pense que le caractère plus ou moins arbitraire des catégories et classifications biologiques est un fait qui n'est remis en cause par personne, en tout cas chez les biologistes compétents ; doit-on arrêter de faire de la taxonomie sous prétexte que les frontières entre espèces peuvent être floues, par exemple que les lions et les tigresses peuvent concevoir ensemble de grands ligres ? Le sexe n'est qu'un outil conceptuel, fondé sur une combinaison de facteurs chromosomiques, génétiques et phénotypiques, avec par exemple l'espèce ou d'autres conditions (stérilité, etc...) pour penser la reproduction biologique.
Oui, les catégories peuvent être arbitraires, mais sans elles, on ne peut pas établir scientifiquement de caractéristiques propres, en moyenne, à un groupe, et cela constitue un frein à la connaissance. Par exemple, ce sont les femmes qui peuvent être enceintes et ont des seins pour allaiter leurs enfants. On est d'accord, c'est sans doute à cause de ce fait que les générations précédentes en ont déduit, à tort ou à raison, qu'elles étaient, dans l'absolu, plus aptes à s'occuper des enfants, passés leurs premiers mois...

Quand à l'idée que le genre précéderait le sexe, elle pose problème, pour les raisons évoquées précédemment, mais aussi quand on a gardé comme moi une vision assez bottom-up et quasi-positiviste de la science, dans laquelle la physique détermine la chimie qui détermine la biologie, qui détermine au moins des aspects minimaux de la psychologie, etc... Autre question : si le genre précède le sexe, alors d'où vient le genre ? Le livre n'est guère explicite à ce sujet. Au contraire, si l'on part de l'idée qu'il faille d'abord remarquer des différences avant de construire des catégories autour et de leur accorder un traitement différent, alors le réel (qui est un continuum) précède le sexe, qui précède le genre. A moins que j'aie mal compris ce dont il s'agissait.

La prochaine partie parle de "défaire le genre". Reviennent alors mes critiques sur le concept de patriarcat et son usage par certain-e-s féministes.

A ce sujet, le "lesbianisme radical" à la Monique Wittig serait considéré aujourd'hui comme une caricature de féminisme, et ferait mieux de rester dans les poubelles de l'histoire du féminisme et du mouvement LGBT. Rassurez-vous toutefois, c'était déjà au moins partiellement souligné même à l'époque, comme le précise l'ouvrage juste après.

Concernant la question des transsexuels, le livre a raison de souligner que certaines théories féministes "radicales", principalement essentialistes, à cause d'un attachement à une conception sacrée de la féminité et, il faut le dire, une certaine misandrie à peine dissimulée, ont pu déboucher sur une véritable légitimation de la transphobie, qui a encore bel et bien encore lieu dans certains milieux.

De mon point de vue, d'une autre façon, la question des transsexuels peut aussi être perçue (paradoxalement, à première vue) comme une réfutation de la "feuille blanche" : on peut en effet les voir comme des personnes avec le corps appartenant à un sexe donné mais dont l' "esprit" s'identifie à l'autre sexe, et il semblerait que ce soit surtout pour des raisons biologiques. C'est une façon assez simple, peut-être simpliste certes, de concevoir la question des transsexuels ; mais les études de genre, pour sauver l'idée du constructivisme social, vont opter pour une approche beaucoup plus alambiquée, que je ne détaillerai pas ici.

Le dernier passage du chapitre évoque la théorie queer. La présentation qui en est faite, assez neutre en fait, ne m'a pas vraiment aidé à voir d'un jour positif cette discipline, dont les influences sont très clairement et nettement post-modernes (ce qui n'est jamais bon signe, selon moi). Elle donne vraiment l'impression d'être élitiste, engluée dans ses contradictions, déconnectée de la réalité (parfois dangereusement ; elle sert parfois d'épouvantail utile, voire idéal, pour une partie de la droite conservatrice, et pour de bonnes raisons) et de ses modes de raisonnements les plus courants. J'ai cru comprendre qu'elle était considérée par de nombreux LGBT eux-mêmes comme une nouvelle forme de dépravation de diptères.

Un autre point que je trouve gênant est le fait, systématique, de penser l'homosexualité comme un "choix d'objet" (terme d'origine psychanalytique ; certes, ce n'est pas un "choix" au sens de libre arbitre, mais ça peut prêter à confusion...), sans jamais considérer de facteurs biologiques possibles, mais bon ce n'est guère étonnant lorsqu'on se place dans une optique de constructivisme social.

En résumé, on a là un chapitre très intéressant, une belle entrée en matière, qui aborde à lui seul de nombreuses thématiques liées au genre et peut aussi considérablement stimuler la réflexion.



02/07/2013

L'affaire David Reimer

Avant un nouvel article sur les principales idées du chapitre I de Introduction aux études sur le genre, j'aimerais revenir avec vous sur l'idée que les différences femmes/hommes seraient purement une construction sociale, la fameuse "feuille blanche", évoquée précédemment ; selon moi, cette idée est fausse, et a même été réfutée à plusieurs reprises. Un exemple particulièrement tragique et sinistre vient en tête.

Le 22 Août 1965, le petit Bruce Reimer naît à Winnipeg, au Canada, avec un frère jumeau, Brian Reimer. A l'âge de 6 mois, ils sont tous deux diagnostiqués d'un phimosis, et devront donc être circoncis deux mois plus tard. Alors que Brian échappera finalement à son opération, celle du petit Bruce ne se passera pas comme prévu et il aura malheureusement le pénis brûlé lors de celle-ci.

Ses parents sont évidemment paniqués et se tournent vers le psychologue John Money, un pionnier dans le champ du développement sexuel et du concept de "genre" (au sens des études de genre), célèbre pour ses travaux sur les intersexes. Il pense aussi que l'identité de genre est uniquement le résultat d'un apprentissage social durant la petite enfance et peut facilement être modifiée.

A 22 mois, le petit Bruce reçoit une opération de changement de sexe et est rebaptisé Brenda au terme de celle-ci. Elle sera désormais élevée comme une fille, et cette opération lui sera cachée aussi longtemps que possible. Quant à John Money, il tient là une occasion idéale pour tester sa théorie, puisque le jumeau de Bruce/Brenda, Brian, est resté un petit garçon. Sans rentrer dans les détails, la déontologie de John Money était parfois franchement douteuse, à la limite du savant fou. Mais il était satisfait du développement de Brenda et y voyait un exemple d'expérience réussie, confirmant ses théories.

Mais ce n'était pas l'avis de Brenda, qui voyait ces visites comme traumatiques plutôt que thérapeutiques. La famille n'a jamais accepté de donner à Brenda un véritable vagin, et jusqu'à son adolescence, celle-ci urinait donc de façon très spéciale. C'est vers la même époque qu'on commença à lui donner des œstrogènes pour développer sa poitrine. Le contact avec la famille Reimer ayant été rompu, John Money cessa de publier quoi que ce soit sur le cas Bruce/Brenda, comme pour dissimuler son échec.

Car en effet, Brenda ne s'est jamais identifiée à une fille. Elle fut rejetée par ses pairs à cause de son apparence et de son comportement. Son attitude a toujours été typiquement masculine, et ni les robes à frou-frou imposées, ni les hormones féminines ne l'ont jamais fait se sentir fille. A 13 ans, Brenda souffrait de dépression et dit à ses parents qu'elle se suiciderait si elle devait revoir John Money. En 1980, on lui dit enfin la vérité sur son changement de sexe, et a 14 ans elle prit une identité masculine, celle de David Reimer. A partir de 1997, David entreprit des démarches coûteuses pour retrouver son sexe d'origine, et c'est justement à la même époque qu'il se confia à Milton Diamond dans l'espoir de dissuader les médecins et chirurgiens de répéter les mêmes erreurs avec d'autres enfants. Son histoire commença à être connue du grand public grâce au livre de John Colapinto qui la relate, As Nature Made Him: The Boy Who Was Raised as a Girl.

Malheureusement, David Reimer se suicida à l'âge de 38 ans, non seulement à cause de son passé mais aussi à cause de la mort de son frère schizophrène des suites d'une overdose en 2002, et aussi pour d'autres raisons. Mais il fut loin d'être le seul à avoir dû affronter le même genre de troubles au cours de sa vie.

Même si c'est un exemple un peu extrême et peut-être caricatural, il faut reconnaître qu'on a décidément là affaire à une face plus sombre des conséquences du constructivisme social. Notez que cette affaire sera référencée par Judith Butler dans son livre Défaire le Genre de 2004. On sent déjà le truc alambiqué...

Addendum (septembre 2022) : avec le recul, et notamment après avoir lu le passage en question, j'y vois plutôt une façon pour Judith Butler de se défendre contre les mauvaises interprétations de ses travaux. Butler ne prétend que la biologie n'a aucune importance ; la question ne l'intéresse pas, et elle se situe à un tout autre niveau.

Disclaimer : Après un rapide tour sur le Net, je me suis rendu compte que cette histoire, bien qu'authentique, était souvent reprise sur des sites de droite et d'extrême-droite pour critiquer la "théorie du genre" et ses soi-disant dangers, en faisant souvent de l'ad hominem sur les tendances pro-pédophiles (avérées, certes) de John Money. Mais de même, des critiques bêtes et méchantes de la psychanalyse apparaissent souvent sur des sites douteux, est-ce une raison pour arrêter de la critiquer ? Si la gauche ne se donne pas la peine de penser ce genre de problème, elle laisse la porte ouverte à la droite et à l'extrême-droite et nous y perdrons tous. En ce qui concerne le cas David Reimer par exemple, celui-ci a aussi été avancé pour dénoncer les opérations chirurgicales chez les intersexes (que j'aborderai dans un prochain article). En tout cas, se servir de l'affaire Reimer pour promouvoir la misogynie, l'homophobie ou la transphobie est clairement un non-sens, voire un contre-sens.


Introduction aux études sur le genre - présentation et remarques générales



Introduction aux études sur le genre est un ouvrage collectif, de Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, publié aux éditions De Boeck.

Le livre s'attache à présenter les études sur le genre, les principales idées et théories qui leur sont liées ainsi que le cadre conceptuel qui leur est associé.

Il est divisé en six chapitres :

- le premier, Sexe et genre, définit le sexe, traite du féminisme radical et de la question trans ;

- le deuxième, Genre, sexualité et vie conjugale, traite de la sexualité et de la perception sociale de celle-ci ;

- le troisième, Genre et socialisation, traite de la socialisation des enfants et de la construction sociale du genre au cours du temps ;

- le quatrième, Genre et travail, traite de la répartition des tâches, des inégalités salariales et d'accès à l'emploi ;

- le cinquième, Genre et politique, traite de l'histoire des revendications des femmes en politique et des inégalités d'accès aux fonctions politiques ;

- enfin le sixième, Intersections, traite du concept d' "intersectionnalité" ; l'idée que les différentes formes de discrimination - de genre, de classe, de race - se combinent, s'interpénètrent et sont comparables à de nombreux égards.


Après cette brève présentation, il est temps de poser la question : mais au fond, qu'est-ce que le genre ? Revenons un peu sur l'intro (de l'intro !) pour avoir des éléments de réponse. On découvre que quatre piliers définissent le genre :

- les différences systématiques entre hommes et femmes sont une construction sociale ;
- le genre est relationnel ; il existe une forme d'opposition entre masculin et féminin ;
- le genre est un rapport de pouvoir, de domination, et de normes ;
- le genre doit être comparé à d'autres formes de pouvoir et de domination.

Dès le départ, ce champ est donc doté d'une portée militante et prescriptive, puisque l'intro continue ensuite sur l'émergence de ces études au sein du mouvement féministe durant les années 1970. Juste une note de terminologie, qui vaudra pour la suite : ce qui y est appelé "féminisme matérialiste" correspond en réalité à un féminisme "marxisant", qui transpose l'analyse de la lutte des classes avec les sexes (et donc pas vraiment matérialiste au sens philosophique classique, ou même usuel).

Le principal écueil de ces études, à mon sens, est donc qu'elles reposent sur ce que Steven Pinker appelle la "feuille blanche" (The Blank Slate), à savoir, l'idée selon laquelle nous ne serions tous, hommes et femmes, que des "feuilles blanches" à la naissance, et que c'est notre socialisation qui expliquerait toutes nos différences.

Cette idée pose problème, évidemment : en effet, que se passerait-il si des découvertes scientifiques réfutaient cette idée et montraient qu'il existe bel et bien, en moyenne, des différences innées de comportement entre hommes et femmes ? Dans ce cas, les études sur le genre seraient-elles condamnées à ne devenir qu'un corpus idéologique et anti-scientifique, incapable de s'adapter à la réalité ? Car la scientificité même, notamment la réfutabilité, du concept de genre, pose aussi problème, pris à l'extrême et notamment dans ses variantes post-modernes : si l'on part du principe que "le genre précède le sexe", alors toute réfutation potentielle ne peut-elle pas être interprétée comme pensée dans les catégories imposées par le genre lui-même, et donc à abandonner pour cette raison ? Et même au-delà, l'activité scientifique elle-même ne peut-elle pas être entièrement analysée sous l'angle du genre, et de lui seul, posé en vérité ultime ? C'est ce genre de dérives qui avait déjà été dénoncées par Sokal et Bricmont dans Impostures intellectuelles. Mais bon, je le reconnais, les études de genre vont rarement jusque là.

Tout ceci devient moins gênant si l'on part du principe que les études de genre ne sont que des interprétations de faits à l'aune d'une théorie, même fausse, et qu'en pratique elles cherchent surtout à tirer dans leur direction en remettant en question les discours inégalitaires et les clichés courants et injustifiés. Dans ce cas, elles ne font pas pire que tant d'autres sciences sociales - y compris l'économie - et cet effort devient même très louable, même si la prudence devrait être de rigueur.

Mais les autres dérives associées à la croyance en la "feuille blanche" sont également visibles, ici : en plus d'une certaine confusion entre le positif et le normatif qui leur est inhérente, les études de genre font une confusion entre la justice (fairness, l'idée que nous valons tous la même chose) et l' "identicité" (sameness, l'idée que nous sommes tous la même chose). De plus, elles vivent sur ce que Pinker appelle la "peur de l'inégalité" : c'est-à-dire l'idée selon laquelle si des différences innées de comportement étaient constatées chez les hommes et les femmes, cela pourrait justifier des inégalités de traitement. Ce n'est pas vrai : si l'on pose que nous faisons tous partie d'une même famille humaine au-delà de nos différences statistiques, et qu'une femme vaut autant qu'un homme, alors l'égalité des sexes doit être respectée. Le fait que la gravité existe ne doit pas empêcher d'imaginer des moyens de s'envoler.

En résumé, si vous pensez - que vous soyez ou non vous-même dans les normes de genre, par ailleurs - que les études de genre et domaines liés (queer, etc...) sont une forme de masturbation intellectuelle élitiste, alors ce livre n'est pas vraiment pour vous, car il risquerait plutôt de vous renforcer dans votre sentiment - et encore, il y a pire comme livre, dans le "genre", si j'ose dire... 

Autrement, le livre est quand même très bien fait, et il faut reconnaître qu'un effort considérable est accompli pour rendre accessibles des théories clairement alambiquées, conçues pour relier une multitude de concepts et réalités disparates. 

De plus, il est effectivement très instructif sur le plan du "diagnostic", concernant les inégalités entre les genres et entre les sexes, les biais selon lesquels elles se manifestent, et comment le genre se construit socialement, en rejetant toutes les explications simplistes et fourre-tout d'une certaine pseudo-biologie.

Si vous vous intéressez sérieusement à ce sujet, je vous le recommande donc, quelque soit votre opinion dessus par ailleurs.



La suite de cet article traitera du premier chapitre et devrait approfondir certains aspects de la critique du constructivisme social pur.